Carrelages, pierres naturelles, ... n’ont-ils pas aussi leur rôle à jouer pour un environnement plus durable tout en préservant cette touche d’esthétique et de confort que nous apprécions ?
Du sel et des algues
Pour la tour d'Arles (France), projet de l'architecte américano-canadien Frank Gehry conçu en 2006 et dont les travaux ont débuté en 2014, l'Atelier Luma a été autorisé à repenser audacieusement les finitions intérieures prévues en matériaux très classiques en proposant des alternatives locales et expérimentales. Focus sur deux d’entre eux.
Les premiers ne sont pas vraiment des carreaux, plutôt des panneaux ... de sel. Ils sont fabriqués à partir d’un simple treillis métallique plongé dans les salines camarguaises où le sel est récolté par évaporation. En deux semaines, une cristallisation se produit sur le treillis sans aucune intervention humaine, juste du vent et du soleil. Ces panneaux imaginés par les designers Henna Burney et Karlijn Sibbel seront pour la finition murale des halls d’ascenseur.
Pour les seconds, de vrais carreaux, les marais salants du delta du Rhône ont également fourni la matière première : des algues.
Elles ont été moulées par injection jusqu’à devenir les jolis carreaux multicolores pour dynamiser l’intérieur des toilettes. Du vert au rose (l'algue colore les flamands qui s’en nourrissent), ils composent un patchwork tonique de 20 différentes couleurs. 30 000 carreaux ont été fabriqués, à jamais dépositaires du CO2 qu’elles ont absorbé pour se développer.
L’amélioration des composantes environnementales du bâtiment a permis de réduire son empreinte carbone. Les matériaux biosourcés sont venus contrebalancer le béton et l’acier avec lesquels il est construit. Le recours aux matières premières locales a renforcé les interactions avec la région.
L’Atelier Luma a vu le jour en 2016 à l’initiative de deux designers néerlandais, Eric Klarenbeek et Maartje Dros. Il a été pensé comme un « laboratoire de design circulaire » et s’est implanté sur le site Luma d’Arles, un « campus créatif (qui) offre aux artistes de nouvelles perspectives de création, de collaboration et de présentation de leur travail au public ».
Salt panels made using "only sun and wind" were used to clad the interior of Frank Gehry's tower for Luma Foundation in Arles. https://t.co/2vrUc0tnqC
— Dezeen (@dezeen) August 24, 2021
Des algues et des déchets
Ce carrelage mural décoratif destiné à un usage intérieur est un concentré de tendances tant au niveau de la composition que de la méthode. A lui seul, il collectionne les mots : mycélium, algue, bio-matériau, biodégradable, impression 3D, recyclage, ... Un champion, n’est-ce pas ? Comment s’y prend-il ?
Tout d’abord, des déchets organiques, industriels et domestiques, sont récoltés, broyés et transformés en substrat pâteux. Du mycélium est ajouté à la pâte et ce nouveau mélange est imprimé en 3D dans des moules individualisé avec des motifs non répétitifs. Ensuite, place à la culture pendant +/- deux semaines dans un environnement adapté. Le réseau de filaments se développe :
- à l’intérieur du matériau et joue un rôle de colle naturelle;
- à l'extérieur jusqu’à recouvrir toute la surface du carreau.
Une étape de séchage et déshydratation dans des fours à convection arrête le processus.
A la fin, la surface structurée est partiellement colorée (par impression 3D, de nouveau) avec un bio-pigment en gel fabriqué à partir des algues
Ces carreaux à base de matériaux vivants inertés sont devenus rigides, légers et entièrement biodégradables. Ils portent le nom de Myco-alga, en référence à leurs composants.
Ils sont fabriqués par BioMATTERS, un studio de bioconception implanté à New York, spécialisé, entre autres, dans la fabrication robotisée de biocomposites à base de mycélium, les matériaux et les produits en argile, les pigments vivants et les processus d’impression 3D appliqués à l’ensemble.
bioMATTERS crafts a #sustainable tiling system by #3Dprinting mycelium, algae, and organic waste
— designboom (@designboom) November 6, 2023
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Un cadeau
Vous connaissez les carreaux de Delft ? A la polychromie initiale, leur décoration figurative préféra au 17e siècle, sous une influence esthétisante chinoise, le bleu et blanc (Delfts Blauw), deux couleurs qui les caractérisent encore aujourd’hui. Ils ont réuni trois entreprises dans la conception d’un projet innovant :
- The Switch, une société spécialisée en énergie solaire et autres énergies renouvelables;
- 72andSunny, une agence internationale de publicité créative;
- Harlinger, une entreprise artisanale de fabrication de carrelage.
L’idée ? Créer à partir d’un style très traditionnel un portrait très contemporain des acteurs de la transition énergétique et, plus particulièrement, ceux actifs dans la filière solaire.
Sur ces nouveaux carreaux, les représentations de paysages, marines, scènes bibliques, ... cèdent la place à celle d’un installateur de panneaux solaires. Le décor de ces bien nommés « Tiles of The Sun » est peint à la main par les artisans de Haarlinger dans le plus grand respect du style et des techniques historiques.
Les carreaux sont offerts aux clients de The Swift à chaque installation de panneaux solaires, de batteries ou d’autres équipements commercialisés par l’entreprise. Ces heureux bénéficiaires peuvent fièrement sertir dans la façade de leur immeuble ces symboles de leur participation active à la lutte contre le changement climatique, eux qui ont fait un choix d’avenir, celui des solutions d'énergie verte.
Les carreaux peuvent aussi être achetés par le grand public. Les bénéfices de cette commercialisation seront réinjectés dans la formation et la certification de (futurs) travailleurs par l’entreprise qui, à côté de son rôle d’installateur, se veut durable et éthique dans celui d’institut de formation. Elle propose ce service gratuitement à de personnes en difficultés (comme des réfugiés) afin de leur offrir des opportunités d’emploi dans un secteur considéré comme en pénurie aux Pays-Bas.
the switch's handcrafted dutch tiles pay homage to artisans shaping a sustainable future https://t.co/rwbDVFSRHb pic.twitter.com/L6P990Mkti
— designboom (@designboom) March 11, 2024
Un os
Pour la touche insolite, nous sommes partis en Turquie et l’information ne paraît pas être une mystification. Le National Geographic et Futura Sciences l’ont relayée.
Un couple rénove sa salle de bains et y fait poser du travertin. Jusque là rien que de très normal. Leur fils passe leur dire bonjour. Ils lui montrent le nouvel aménagement. Jusque là rien d’anormal. Il a l’œil attiré par un étrange dessin au sol. Il faut savoir qu’il est dentiste et que cette imperfection lui fait furieusement penser à un morceau de mâchoire avec quelques dents. Il prend une photo, la diffuse sur le net, des chercheurs s’en emparent.
Il y a très longtemps un homme est mort dans ce qui n’était pas encore la Turquie mais simplement une zone riche en carbonate de calcium. Les sédiments se sont accumulés, solidifiés, l’homme s’est fossilisé. Un dépôt de travertin s’est formé, sarcophage d’éternité. Des milliers d’années plus tard, le site est exploité, les rayures de la pierre sont très belles. Les blocs sont extraits de la carrière, découpés, polis, commercialisés …
Les pierres de ce bassin d’extraction situé à l’ouest de la Turquie (Denizli) ont déjà fait l’objet d’une datation : entre 1,8 et 0,7 million d'années. Il se pourrait donc que cet hominidé soit plus ancien qu'un Homo sapiens. En 2002, c’est un morceau de crâne d’Homo erectus que des ouvriers ont découvert en sciant des dalles de pierre extraite près de Kocabas, un village sis dans la même zone. L'Homme de Kocabas était le premier du genre en Turquie.
A moins qu’elle ne soit visuellement très révélatrice, l’identification de restes humains reste très difficile et anecdotique. Ils sont rares, le squelette peut avoir été fragmenté, les formes visibles après découpe ne sont plus symptomatiques hormis pour des scientifiques chevronnés.
Il est fort probable que cette dalle pour le moins originale soit envoyée en laboratoire pour une datation précise. La roche, l’os et surtout les dents sont potentiellement riches de renseignements concernant leur propriétaire (maladie, microbes, stress, vie, …). Son ADN, s’il est encore disponible, livrera aux curieux de précieuses informations complémentaires.
Les scientifiques ont bien envie de lancer un avis de recherche pour découvrir chez qui est l’heureux propriétaire de la dalle contenant l’autre moitié de la mâchoire ... Avez-vous fait poser du travertin récemment ?
Il découvre une #mandibule d'#HomoErectus dans le #carrelage de chez ses parents ! https://t.co/m3LdRWk4yQ
— Futura (@futurasciences) April 27, 2024
Des agates
Exit le travertin sépulcral. Restons dans la pierre avec un produit encore plus fastueux, celui du fabricant italien de carrelage en grès cérame, Florim.
Lors de la Milan Design Week 2024 (16-24/04/24), il a dévoilé la collection Mystic Luxe, un projet conçu en collaboration avec le studio milanais Matteo Nunziati, expert dans le design intérieur de luxe.
L’idée était de sertir des tranches d’agates dans des carreaux de grandes surfaces en grès cérame (120×280 et 60×120 cm). Pourquoi avoir choisi l’agate ? Pour son esthétique et ses qualités intemporelles.
L’agate doit son attrait aux conditions de sa formation, des dépôts successifs de couleurs ou de tonalités différentes dont le polissage exalte la variété et la beauté. Maintes vertus lui sont attribuées. Dans la Chine ancienne (et encore toujours en médecine traditionnelle), elle était réputée pour équilibrer le yin et le yang, source d’harmonie émotionnelle, physique et mentale. La Grèce et l’Egypte antiques la vénéraient pour son action sur la longévité et la santé. Actuellement encore, son énergie positive est appréciée comme facteur de force et de paix intérieure.
Avec de telles qualités, cette série affiche clairement son objectif : créer des ambiances propices au bien-être et à la volupté ... et ce, avec des surfaces neutres en carbone. Pour mettre l’agate en valeur, les concepteurs ont imaginés des carreaux complémentaires, unis aux accents métalliques, quatre couleurs (du noir à l’or) en deux déclinaisons. Les agates, elles, sont sélectionnées pour générer sept nuances de couleurs (Indigo, Claret, Juniper, Viridian, Black Sea, Gloom, Umber) en plusieurs finitions.
La société Florim prend racine dans l'artisanat italien avec Giovanni Lucchese qui, en 1962, a lancé en Italie la production de clinker étiré. Diversifications de gamme, aléas familiaux, fusions, rachats, … la fabrique initiale a connu bien des changements. Aujourd’hui active à l’international, elle a adopté un profil résolument technologique et durable.
in florim’s mystic luxe collection, the historical significance of the agate stone and chromium-plated metals converge with luxurious ceramic surface design https://t.co/z7MJ5vKgkf pic.twitter.com/MHTOG0ty90
— designboom (@designboom) May 27, 2024
Des éclats
Impossible de passer à côté de cet exemple type de recyclage. Avec le terrazzo Spolia, la société britannique Solus Ceramics a décidé de s’engager dans une pratique durable et respectueuse de l'environnement.
Le terrazzo (en Italie) ou granito (chez nous) est loin d’être nouveau. La première mention officielle de ce revêtement de sol remonte à 1582 à Venise. La recette de fabrication est axée recyclage puisqu’elle intègre des éclats de pierre (et parfois d’autres matériaux) résidus de fabrication. Ils sont liés par un mortier dont la recette a évolué au fil des ans, d’un mélange de chaux et de poussière de pierre au ciment actuel. Un polissage confère la brillance au carreau.
Dans cette version, les éclats de pierre sont remplacés par déchets de matériaux issus de la démolition et concassés. Avec des agrégats triés par couleur et un liant teinté ou non, Solus Ceramics a la capacité de proposer une gamme standard de 21 couleurs avec des finitions variées mais aussi des esthétiques personnalisables selon l’envie de ses clients A noter que le liant est un ciment à faible teneur en carbone pour conforter la démarche environnementale.
Lorsque les carreaux agrémentent les nouveaux immeubles sur le site même d’où proviennent les déchets, ils portent en eux un peu de la mémoire des lieux.
Ad | UK-based ceramics supplier Solus Ceramics (@solusceramics) has created a range of bespoke terrazzo tiles made from waste materials from project sites.
— Dezeen (@dezeen) July 23, 2024
The range is called Spolia and utilises waste aggregates from demolition sites across the UK to create terrazzo tiles and… pic.twitter.com/9TyI7Wt3RN
Existe-t-il un lien entre le choix d’un carrelage et le climat ? Il peut sembler évanescent. Mais peut-être fait-il partie des ces actions minimes qui, une fois rassemblées, mettent le monde en mouvement ?
Cet article clôture les curations de notre équipe. Bien qu’axée sur la simple thématique du carrelage (au sens large), cette collecte s'appuie sur deux des grandes tendances de la veille que sont la durabilité et la circularité. Nous avons essayé qu'elle soit diversifiée avec, autant que possible, une note d’humour et espérons qu’elle a rencontré votre intérêt.
Sources :
- « Salt panels made using "only sun and wind" used to clad interior of Frank Gehry's Arles tower », Marcus Fairs, 09/07/2021, www.dezeen.com
- www.luma.org
- « BioMATTERS crafts tiling system by 3D printing mycelium, algae, and organic waste », Frank Melendez, 06/11/2023, www.designboom.com
- www.biomatters.org
- « The switch's handcrafted tiles pay homage to dutch technicians shaping a sustainable future », Federico Fusco, 11/03/2024, www.designboom.com
- « Il découvre une mandibule d'Homo Erectus dans le carrelage de chez ses parents ! », Morgane Gillard (Rédactrice), 27/04/2024, www.futura-sciences.com
- « Votre carrelage en travertin contient peut-être des fossiles humains », John Hawks, 07/05/2024, www.nationalgeographic.fr
- « Florim infuses agate’s natural gems with metals into mystic luxe ceramic surfaces », Lisa Kostyra, 27/05/2024, www.designboom.com
- www.florim.com
- « Solus Ceramics launches terrazzo tiles made from recycled demolition waste », Sonia Singh,23/07/2024, www.dezeen.com
- solusceramics.com
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