Après des projets éphémères, concentrons notre attention sur quelques projets d’architecture tout aussi insolites en attendant que l’intelligence artificielle les rendent encore plus étonnants.

Inspirés ou non par la nature, tous lui laissent la part belle et se veulent les manifestes d’une conscience environnementale forte.  

Un arbre

Le climat et la culture influencent l’architecture des bâtiments. Prenons New Delhi en Inde. L’hiver est sec et les vents sont froids, la température peut descendre aux alentours de 0°C. Le printemps est pluvieux. En été, la température moyenne est de 33° C avec des pics possibles à 45°C. Puis vient la mousson avec un taux d’humidité et un inconfort maximum. Il faut pouvoir chauffer un bâtiment quand c’est nécessaire mais aussi et surtout le rafraîchir. Des cours intérieures végétalisées apportent de l’ombrage. Une circulation d’air soigneusement étudiée et des points d’eau apportent la fraîcheur.

Si ces principes sous-tendent la conception du bureau d’architecture Atrey Design Studio pour ses propres locaux, l’architecte principal Arun Sharma transcende la démarche dans son rapport avec la nature. Son approche conceptuelle et holistique du bâtiment se doit d’être une représentation végétale belle et complexe, un berceau propice aux futures créations. Le résultat de cette réflexion est un projet sculptural en forme d’arbre à la silhouette modelée par le vent.

  • les colonnes centrales façonnent un tronc pansu et solide, un peu comme un cocon
  • des dalles en porte-à-faux suggèrent des branches
  • un sous-sol l’enracine dans le sol.

Chaque niveau se voit attribuer une fonction, accueillant les visiteurs pour une expérience évolutive. D’après les plans et la coupe AA :

  • - 1 → salle de conférence et salon de détente avec mur végétalisé et circulation d’eau
  • rez → entrée et accueil des visiteurs
  • + 1 et + 2 → bureaux de dessin en espace ouvert
  • + 3 → bureaux complémentaires, salle pour les réunions informelles (séminaires, présentations)/ repas mais aussi le moment de détente avec le comptoir bar
  • + 4 → bureau de l’architecte principal et espace client
  • + 5 → pièce dédiée à la réalité virtuelle et réserve

L’ensemble est complété par des cours ou des balcons végétalisées qui jouent sur l’ombre et la lumière tout en apportant une fraîcheur bienvenue. Les surfaces vitrées sont judicieusement positionnées pour favoriser la lumière naturelle en évitant les surchauffes.

A noter aussi la présence de panneaux solaires en toiture, de systèmes de refroidissement pour le confort thermique pendant les pics de chaleur ainsi que la récupération de l’eau de pluie.

 

Une aile

Quittons l’Inde pour le Mexique où l’agence Roth Architecture met la nature à l’honneur s’inspirant cette fois des deux mondes, l’animal et le végétal, pour la construction de ses bureaux.

Ils sont implantés dans le complexe Azulik qui comprend des hébergements, un musée, des installations indépendantes et un restaurant. Le complexe a été développé par l’architecte autodidacte Eduardo Neira, connu sous le nom Roth, et la Fondation Enchanting Transformation qu'il préside depuis dix ans. Dans le cadre de ce projet, il s’est donné pour mission d’améliorer les relations avec les communautés autochtones d’aujourd’hui, d’encourager la préservation de leur culture, des connaissances et des valeurs de leur sagesse ancestrale. Pour lui, la démarche est un prérequis à la protection de l'environnement naturel et au développement des interactions, à l’étude de l’impact de l’homme sur la planète, une exploration qu’il concrétise à travers l’art.

Considéré comme un laboratoire créatif, ce Fab Lab le bien nommé, prend une forme organique en réplique à la jungle qui l’entoure comme les autres bâtiments du site. Les bureaux ont une organisation modulaire, sortes de bulbes aux volumes différents qui s’articulent autour d’un élément central et serpentent dans la jungle jusqu’à s’enrouler autour des arbres. Chaque bulbe a sa propre fonctionnalité avec, par exemple, pour le principal un bureau, des machines (imprimantes 3D, découpeuses laser, ...), pour l’autre un laboratoire informatique.

Les bulbes sont fabriqués en acier et béton armé. Les baies sont soulignées par une ondulation de la peau en débord qui crée une casquette de protection. Leur forme, leurs dimensions et leur positionnement varient comme une respiration de la nature. Elles sont fermées par un assemblage des éléments transparents faits de résines translucides, de fibres de palmier et d’un entrelacs de métal. On semble y voir les écailles des ailes d’insectes ou les cellules d’une feuille d’arbre. Elles en ont toute la complexité, la beauté et la poésie, une solution originale pour une lumière quasi surnaturelle.

Le résultat est un ensemble résolument centré sur la nature mais capable de satisfaire aux besoins de la vie quotidienne.

 

Un nid

Nous voici en Italie avec l’agence Mario Cucinella Architects. En partenariat avec WASP une entreprise spécialisée dans l’impression 3D, ils ont imaginé, Tecla, un logement imprimé en argile.

La technologie est d’avenir, les expériences d’impression 3D se multiplient et se diversifient. Par module, la réalisation est rapide (200 heures), faible consommatrice en énergie (6 kW en moyenne) et ne produit que très peu de déchets. Le matériau est local, il provient d’une rivière proche et réutilisable. La forme de l’enveloppe peut être facilement modifiée et adaptée à une autre qualité d’argile ou à des conditions climatiques différentes. Tout converge à faire de ce prototype une construction durable à faible émission de carbone.

Sa volumétrie biomimétique évoque celle d’un nid de guêpe. Elle résulte de la fusion organique de deux éléments circulaires pour une surface de 60 m² et une hauteur maximale de 4,20 m. L’éclairage naturel est assuré par des puits de lumière zénithaux et un accès vitré. Tout comme l’entrée, le passage à la jonction des dômes prend la forme d’un arc ogival. Le premier volume comprend un séjour et une cuisine, le second, une chambre et la salle d’eau.

La paroi externe est réalisée par impression additive de 350 couches. Les nervures verticales à l’extérieur et les ondulations en assurent la stabilité, participent à son isolation thermique. A l’intérieur, le mur laissé apparent affiche fièrement la texture de sa fabrication. Il est complété par du mobilier imprimé en 3D également qui confère à l’ensemble une ambiance chaleureuse.

L’expérience a été menée en 2019 dans le cadre d'une recherche sur l'éco-durabilité combinant des paramètres issus du bioclimatisme, de l’architecture vernaculaire et de la technologie contemporaine. WASP, active dans l’impression 3D depuis 2012, n’a cessé de développer le procédé en agissant tant sur les matériaux que le matériel. Elle a utilisé sa toute nouvelle imprimante 3D modulaire à plusieurs niveaux. Pour ce projet, deux bras synchronisés ont été déployés. Ils couvrent simultanément une zone d'impression de 50 m² ce qui signifie que les 2 dômes sont imprimés en même temps.

Au fait, pourquoi Tecla ? Le nom est une contraction des points forts du projet : Tec pour technologie, cla pour clay (argile en anglais) et le c commun, le symbole leur combinaison. 

  

Un chemin

Marée basse. Des dalles de granit mènent à un monticule de sable. Marée haute, les dalles deviennent un gué, le monticule une île. C’est la scénographie imaginée par le bureau d’architecture norvégien Snøhetta pour l'une des 18 routes panoramiques de Norvège, la Traelvikosen Scenic Route.

Ces routes traversent des paysages exceptionnels de fjords, de montagnes, de cascades. L’expérience paysagère se complète d’animations architecturales dont l’offre s’étoffe au fil des ans : aires de repos, de pique-nique, toilettes, poste d’observation des oiseaux, œuvres d’art, …

C’est dans ce contexte que s’inscrit la réalisation de Snøhetta. L’alternance des marées met l’accent sur « le passage du temps », thème choisi pour la réalisation. Le projet veut inciter le promeneur à ralentir, le regard porté sur l’horizon, la montagne ou les yeux perdus dans la transparence de l’eau.

La forme des blocs, résolument anguleuse, contraste avec les pierres arrondies sur le fond marin. Du choix architectural naît un contraste puissant entre la pierre fraîchement sortie d’une carrière locale et celle qui a subi des milliers d’années d’érosion. Les 55 plots sont soigneusement alignés. Même si deux personnes peuvent se croiser, avec leurs 50 cm de largeur, ils forment une allée étroite. Leur espacement régulier rythme le cheminement du visiteur :

  • un parcours extérieur pour vivre l’expérience singulière de la nature en mouvement, en évolution
  • une approche réflexive, intérieure sur le sens d’une vie, somme toute, très éphémère.

 

Un kilomètre

Le km serait-il devenu une nouvelle unité de construction ? L’Arabie saoudite se focalise sur son projet Neom avec, entre autres, The Line, une mégalopole futuriste dont les 170 km de longueur lui donnent une allure linéairement pharaonique mais résolument (?) écologique.

En Chine, l'architecte japonais Junya Ishigami a imaginé un espace muséal d’un kilomètre qui s’allonge sur un lac artificiel. Monumental par sa longueur mais discret dans sa volumétrie, il se présente comme une extension de Rizhao, une ville en plein développement. L’espace d'exposition, le Zaishui Art Museum, se complète d’un centre d'accueil et un centre commercial pour une surface de +/- 20 000 m². Le bâtiment du musée s’amuse avec l’eau et le paysage environnant. Il joue sur sa hauteur, sur sa largeur laissant pénétrer plus ou moins de lumière, de nature. Dans les reflets, la limite entre le sol et l’eau s'estompe alors qu’un subtil système d’ouverture amène vraiment l’eau du lac jusqu’au sol du musée. Intérieur et extérieur se confondent dans une mise en scène où l’eau s’écoule librement dans le bâtiment, même en hiver lorsque la surface du lac est gelée.

Avec ses courbes douces, la toiture blanche en béton se propage comme une onde. Dans certaines parties du musée, elle s'ouvre vers le ciel et introduit la nature environnante au coeur de l'édifice. Elle est supportée par des colonnes ancrées dans le lac qui rythment le cheminent de leur intervalle régulier. Des parois vitrées fixes ou mobiles séparent l’intérieur de l’extérieur. Lorsqu’elles sont ouvertes, le léger vent thermique du lac vient rafraîchir les visiteurs.

Le centre d’accueil situé en face du musée présente une architecture similaire : façade en verre scandée par sa colonnade, une large ouverture sur le côté faisant face au musée. Le toit, par contre, est cette fois végétalisé.

Alors que l’architecture chinoise semble à l’architecte habituellement fermée à l’environnement, il a opté pour cette nouvelle synergie entre le naturel et l'art.

 

Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres qui témoignent de la créativité des concepteurs qu’ils soient architectes, designers, artistes, … Et n’oublions pas l’influence d’une nouvelle variable : les intelligences artificielles. Un rapport récent du Royal Institute of British Architects (RIBA) fait état d’un intérêt croissant des architectes pour ces processus. L’étude rapporte que 41 % des architectes britanniques se sont laissé tenter au moins pour des projets occasionnels.

Aujourd’hui, la technologie est principalement utilisée pour l’automatisation des tâches administratives et, sur les maquettes numériques, pour l’amélioration de la durabilité des projets (empreinte carbone, gestion énergétique, déchets, …).

Les freins sont encore bien présents. L’investissement est d’importance. La problématique des droits d’auteur est toujours d’actualité. La crainte du remplacement de l’homme par l’outil reste bien réelle. La signature esthétique de l’IA soulève la question d’une banalisation visuelle.

A l’inverse, la curiosité des concepteurs et la puissance de l’outil feront-elles de l’IA un incontournable de la conception de demain, une ouverture vers une nouvelle créativité formelle, structurelle et environnementale ? 

 

A suivre → Les insolites – Une touche de gaieté

 

Lire aussi

 

Sources :
- « Climat de New Delhi », fr.wikipedia.org
- « L'arbre », 28/01/2024, www.lejournaldelarchitecte.be
- « Roth Architecture creates office in Tulum with "insect wing" forms », Ellen Eberhardt, 01/09/2023, www.dezeen.com
- www.enchantingtransformation.org
- « Tecla house 3D-printed from locally sourced clay », James Parkes, 23/04/2021, www.dezeen.com
- « Tecla, un habitat éco-durable inspiré de la guêpe potière et entièrement imprimé en 3D avec des matériaux recyclables », Laurence Tsiory, 29/11/2023, www.neozone.org 
- « Snøhetta creates disappearing walkway on Traelvikosen Scenic Route », Lizzie Crook, 01/07/2022, www.dezeen.com
www.nasjonaleturistveger.no
- « Zaishui Art Museum / junya ishigami + associates », Hana Abdel, 01/02/2024, www.archdaily.com
- « Junya Ishigami reveals one-kilometre-long museum emerging from Chinese lake », Christina Yao, 01/02/2024, www.dezeen.com
- « "Forty-one per cent of architects now using AI" says RIBA report », Lizzie Crook, 01/03/2024, www.dezeen.com
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