Une fois l’eau consommée, que ce soit pour un usage industriel ou de distribution, elle se retrouve la plupart du temps dans les égouts.

Cette eau-là, que nous apprend-elle ? 

Les eaux d’égout sont indiscrètes et généreuses. Le saviez-vous ?

Drogues & Co

Prenons les drogues, par exemple. Analyser un échantillon d’eau prélevé dans un égout urbain permet de connaître, en temps réel, l’état de la consommation de drogues illicites du quartier desservi (nature et quantité). La première recherche de grande ampleur date de 2011 et a porté sur 19 villes, à l’initiative du groupe européen SCORE (Sewage analysis CORe group – Europe). Ce projet a été poursuivi annuellement et amplifié. En 2021, 75 villes étaient sous surveillance. Ces campagnes ont démontré la fiabilité des indicateurs et l’efficacité des résultats obtenus plus rapidement qu’avec des méthodes d’investigations traditionnelles : la répartition géographique et leur progression selon les produits, l’évolution des tendances, … (pour en savoir plus -> consulter le site : European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction - EMCDDA)

C’est valable aussi pour le Covid. La détection du virus dans les eaux usées améliore la connaissance de la situation épidémique et de son évolution. Un exemple avec les EPHAD à Marseille.

Cette surveillance microbiologique est non seulement fiable mais aussi préventive car le virus est présent dans les eaux usées avant l’apparition des symptômes. Les résultats sont en corrélation avec ceux des tests PCR. Ils sont complémentaires mais leur portée est plus stratégique car prédictive. 

Les eaux usées fournissent énormément d’informations en termes de santé publique, de mode de vie, de production industrielle, de pollution, … et même des plus anecdotiques.

Avec cette vidéo sortie des archives de l’INA, il n’est pas question de substances mais de volume. 1988. Le programme de la TV et le succès des émissions sont directement mesurables par l’augmentation du volume des eaux vannes ... Les gens attendent la fin de leur programme préféré pour aller aux toilettes ! 

 

Recyclage

Lorsqu’elles sont grises, c’est-à -dire, une eau légèrement polluée hors provenance des wc, leur recyclage est tout à fait envisageable pour des usages tels que l’arrosage / l'irrigation, la chasse d’eau ou l’entretien.
Deux conditions :
  • la première est obligatoire : prévoir des circuits séparés tant pour l’évacuation (eaux grises - eaux vannes – eau pluviale) que pour l’alimentation (eau potable – non potable)
  • la seconde dépendra du système de récupération prévu : insérer un filtre dans le circuit pour éliminer les contaminants indésirables (résidus chimiques contenus dans les produits d’entretien ou de soins corporels, micro-organismes, …), ce que ne permet pas la très économique méthode gravitaire.
Le recours à l’eau de pluie et/ou aux eaux grises recyclées a pour objectif de diminuer la consommation d’eau de distribution là où son usage n’est pas nécessaire tout en répondant au besoin global des utilisateurs.

Tout est aussi une question d’échelle. Le recyclage peut être envisagé au niveau domestique, individuel puis collectif et, avec une plus large perspective, il peut être activé jusqu’aux stations d’épuration.

 

Chaleur

Au-delà de la récupération de l’eau proprement dite, les eaux usées offrent d’autres potentiels en matière énergétique. Le premier est la récupération de leur chaleur.

Les installations techniques sont coûteuses mais les économies d’énergie qu’elles permettent aboutissent à un équilibre puis un bénéfice par rapport à l’investissement nécessaire. Plus le prix de l’énergie augmente, plus vite l’installation est rentabilisée. Et par les temps qui courent … faut-il encore faire un commentaire ?

Ici aussi le principe peut s’envisager à plusieurs échelles : individuelle, collective, de l’immeuble au quartier, de l’hôtel à la piscine, …

Produire de l’eau chaude sanitaire consomme de l’énergie, pourquoi ne pas récupérer sa chaleur résiduelle via un échangeur lorsqu’elle est rejetée après usage ? Sa température peut encore atteindre les 20 à 30° C. Tout comme en ventilation l’air entrant est préchauffé, l’énergie récupérée pourra servir au préchauffage de cette même eau chaude sanitaire.

Dans les installations de plus grande taille tels que les établissements scolaires, l’horeca, … les échangeurs peuvent être associés à des pompes à chaleur pour augmenter les performances de la récupération.

 

Gisement 

La seconde source d’énergie se trouve dans ce qui est appelé les « fatbergs ». Ce sont des déchets (lingettes, couches, serviettes hygiéniques, …) pris dans des graisses et de l’huile qui se figent, formant des conglomérats dans les canalisations jusqu’à les boucher entièrement sur plusieurs mètres de longueur voire plusieurs centaines de mètres. 

Ces blocs sont très résistants, très durs. Il n’est pas toujours possible de les découper avec des jets d’eau à très haute pression. Dans ce cas, des ouvriers doivent descendre dans le réseau d’égouttage pour littéralement les casser, un travail difficile et dangereux. Le fatberg contient aussi des œufs de parasites, de multiples bactéries, libère des gaz toxiques et inflammables, …

Le Museum of London consacré à l’histoire de la ville en conserve symboliquement un morceau depuis février 2018. Non seulement celui-ci attire de nombreux visiteurs mais le musée profite aussi de l’occasion pour leur vendre des produits dérivés.

Le problème est bien réel dans les grandes agglomérations telles que Londres, Montréal, … et récurrent malgré les campagnes de sensibilisation.

Quel autre intérêt, qu’un produit dérivé, trouver à cette nuisance ?

  • le recyclage en biocarburant de sa matière grasse. Actuellement, la transformation se fait hors site mais des chercheurs canadiens pensent qu’il serait possible de le faire sur place, un gain de temps et d’argent;
  • la valorisation comme combustible en centrale électrique (moyennant dessication des déchets graisseux et traitement adéquat des fumées);
  • la fabrication de savon via une saponification;
  • la production de compost par le biais de la vermiculture;
  • et la liste n’est pas limitative.

La vidéo ci-dessous (en anglais) vous propose de partir à la découverte d'un fatberg londonien. 

 

Si une approche plus globale de l’étude de ce gisement vous intéresse, la problématique des eaux usées à l’échelle mondiale est abordée dans le « Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau 2017 ». Il porte sur « Les eaux usées, une ressource inexploitée » et vous pouvez consulter dans la Bibliothèque Numérique de l'UNESCO

 

Lire aussi : Histoire d’eaux – de l’eau potable (1/2)  

 

 

Sources :
- « Analyse des eaux usées et drogues – étude multiville européenne », dernière mise à jour: mars 2022, www.emcdda.europa.eu
- « Le coronavirus peut-il se transmettre par les eaux usées ? », Julie Kern (rédactrice scientifique), 27/08/2020, www.futura-sciences.com
- « Généraliser la détection du SARS-CoV-2 dans les eaux usées : une mesure urgente en période de reflux épidémique », Communiqué de l’Académie nationale de médecine, 13/10/2021, www.academie-medecine.fr
- « Polluants émergents dans les eaux potabilisables », 11/01/2018, etat.environnement.wallonie.be
- « Gestion des eaux pluviales sur la parcelle et dans l’espace public », Stéphan Truong (Facilitateur Eau – ECORCE), printemps 2021, environnement.brussels
- « Récupération de la chaleur issue des eaux usées », Joris Dedecker, automne 2017, environnement.brussels
- « La récupération de chaleur des eaux grises à toutes les échelles », Cécile Clicquot de Mentque, 29/03/2019, www.actu-environnement.com
- « Performances des systèmes de traitement biologique aérobie des graisses », Jean-Pierre Canler, Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, FNDAE n° 24 (document technique), www.fndae.fr 
- « Les eaux usées, une ressource inexploitée - Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau 2017 », UNESCO 2017, www.actu-environnement.com
- « Transformer les fatbergs en biocarburant plus efficacement », Martin, 21/08/2018, www.technologiemedia.net
- « Le fatberg, "monstre de graisse" de 130 tonnes de Londres, sera transformé en biodiesel », RTBF avec Agences, 19/09/2017, www.rtbf.be
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