Jusqu’à présent, les ponts ont été abordés du côté de la mobilité, de la vue, du tourisme, … Il est temps de s’inquiéter de la circulation fluviale. Le pont ne peut être une entrave sur une voie navigable. Lorsque la hauteur utile est insuffisante, il se lève en une ou deux parties comme sur cette photo, une méthode très classique.

Il ne faut pas croire que les ingénieurs et designers s’en sont contentés. Ils ont toujours un malin plaisir à explorer des solutions différentes et évidemment originales.

A contrario, le premier exemple est celui d’un pont tout à fait fixe et standard, un exemple intéressant de divergence de vue entre ingénieur et navigateur.

Un pont trop bas

Dimensionner un pont, c’est prendre en compte, entre autres, le type de trafic, le tonnage, … Quand il y a désaccord entre les hypothèses de calcul, les stratégies décisionnelles et la réalité du terrain, la situation peut devenir saugrenue comme celle présentée par ce marinier.

A vide ou lorsque son chargement est trop léger, heureusement qu’il dispose d’une cabine rétractable ! Des collègues différemment équipés doivent lester leur péniche pour passer sous le pont. Tout nouveau, avec 32 cm en moins de passage libre, il remplace un ancien ouvrage déjà considéré comme très bas.

Alors que le transport fluvial est présenté comme une alternative écologique au transport routier et permettrait de désengorger le trafic, une telle problématique devient une entrave bien réelle.

Un pont roulant

Nous sommes à Londres au Cody Dock, un ancien quai que l’abandon a transformé en terrain vague. Cette friche en bordure de la rivière Lea a du potentiel.

Sous l’impulsion d’une association caritative, Gasworks Dock Partnership, et d’un bureau d’architecture, PUP Architects, elle est prête à se transformer en pôle d’accueil pour l’art, à devenir un « quartier créatif ». L’accès doit en être amélioré. Il manque une passerelle sur le parcours cyclo-piéton « Leaway » à condition de ne pas entraver la circulation des bateaux remise en service pour des balades fluviales après 50 longues années de déshérence.

Le passé industriel du site inspire l’architecte Thomas Randall-Page. Métal, rouage, pont roulant sont autant de flashs dans son imagination. Il fusionne les éléments en un projet de … roue carrée.

Qui ne s’est gaussé de la roue carrée ? Avec Thomas Randall-Page, elle entrera dans notre réalité. L’ouvrage, sculptural et mobile, s’ancre dans la philosophie de la réhabilitation, il en sera la porte magique.

Love the look of this bridge! Architect Designs Giant Steel Rolling Bridge for the Overlooked Area of Cody Dock https://t.co/kjmoo2FTsw#innovation #creativity #bridge #architect #design #regeneration @ArchDaily #london #river @TomRandallPage #community #crowdfunding pic.twitter.com/nhgF8yzqyJ

— Unboxed Homes (@UnboxedHomes) August 9, 2019

La roue monumentale se compose d’un cadre aux angles arrondis actionné manuellement. Ludique mais claire sur l’intention, au gré de son mouvement, elle ouvre le passage tantôt aux piétons, tantôt aux bateaux. Les permis ont été obtenus, Un financement participatif est en cours, invitant à concrétiser cette vision audacieuse.

Un pont déroulant

Le modèle de ce pont levant est un peu particulier. Il se situe aussi à Londres, dans le quartier de Paddington.

Mobile, la passerelle articulée franchit le Grand Union Canal sans entraver la circulation fluviale. Elle n’est pas récente puisqu’elle a été construite en 2004 mais l’originalité du mouvement, qui n’est pas sans évoquer la queue d’un scorpion, lui confère encore une place de choix sur le podium. Il va sans dire qu’un tel ouvrage a été plusieurs fois primé.

Grâce à des vérins hydrauliques intégrés dans le garde-corps, la passerelle piétonne, de 12 mètres de longueur, se replie sur elle-même vers le socle qui abrite le mécanisme principal. Les 8 éléments triangulaires, articulés, se resserrent les uns contre les autres jusqu’à former un octogone sculptural et libèrent la voie pour les bateaux.

Le pont a été construit et testé dans le Sussex avant d’être amené sur site par voie d’eau. Il a été conçu par le Heatherwick Studio en collaboration avec le bureau d’ingénierie SKM Anthony Hunts.

Ce bureau d’architecture est bien connu pour ses projets originaux et innovants à travers le monde, souvent qualifiés de curiosités architecturales, comme à Shangai ou encore New-York.

Un pont inclusif

Voici encore une passerelle bien discrète mais tout aussi extraordinaire. Elle est à Genève, intégrée à la jetée qui mène au jet d’eau et dédouble une passerelle existante.

Plus de passage ? Non, un passage différent, inclusif. La passerelle en place est fixe et se compose d’une volée de marches pour monter, une pour descendre, les bateaux passent dessous. C’est efficace. Oui, mais …. pas pour les personnes à mobilité réduite, en fauteuil roulant, pour les poussettes, … D’où l’idée de l’association Handicap Architecture Urbanisme (HAU) de rénover, d’élargir le ponton et d’y prévoir une nouvelle passerelle « pour tous ».

Cette passerelle a été inaugurée en juin 2016. Elle est le fruit de la recherche du bureau genevois d’ingénierie et de structure INGENI. Elle a été réalisée par une entreprise spécialisée notamment en charpenterie métallique, Stephan SA.

Seule une balustrade métallique laisse soupçonner un mystère. Un mystère ?

Sur la gauche de cette photo, vous voyez les deux passerelles, côte à côte, en mode "bateau". La nouvelle est à gauche. A priori, rien ne les différencie. Ne vous y laissez pas prendre. La nouvelle est rétractable. Repliée, elle est invisible, assimilée totalement dans le revêtement de chêne massif du ponton. Pour laisser le passage aux bateaux, le ponton se déforme, des caissons se soulèvent formant des marches et une voûte en position haute. 

Les élévations ci-dessous montrent comment une partie du ponton se voit astucieusement transformé en passerelle - escalier !

Le concept a fait l’objet d’un brevet. Tout le mouvement part des garde-corps métalliques en forme de ciseaux qui se déploient ou se referment sous l’action de pistons. Un système de bielles entraîne des caissons, une ossature en inox invisible où sont enchâssées les planches du revêtement. Les concepteurs ont exploité le potentiel offert par le numérique pour mener à bien leur projet, tant au niveau du calcul que des simulations.

Ici aussi, le pont mesure 12 mètres. Il a été préfabriqué en atelier et amené assemblé sur site.

Et la vielle passerelle ? Elle a été conservée. Ceux qui veulent faire un peu de cardio pendant leur jogging pourront toujours monter et descendre les escaliers en courant !

Un pont rotatif

Retour en Angleterre. Regardez bien ces deux photos.

Oui, vous avez bien vu, ce n’est pas un effet d’optique. Ce pont est mobile. Il bascule autour d’un axe horizontal fictif entre les rives pour laisser passer les bateaux.

Pour ceux qui préfèrent une vision plus dynamique, voici le mouvement filmé en accéléré. Un basculement dure ± 4,5 minutes.

Vous êtes à Gateshead, au Nord-Ouest de l’Angleterre, le long de la Tyne. Le Gateshead Millennium Bridge a une vingtaine d’années selon la date prise en référence : 1998 → début des travaux, novembre 2000 → mise en place, septembre 2001 → ouverture au public, mai 2002 → inauguration par la Reine Elisabeth II. Il fait partie des ouvrages construits pour célébrer le changement de millénaire. Au-delà de la célébrité touristique, il a acquis une véritable valeur patrimoniale. Avec ce projet innovant et extraordinaire, le bureau Wilkinson Eyre Architects ne pouvait que remporter le concours qui a présidé à sa construction. Première distinction qui sera suivie d’autres prix dont le RIBA Sterling Prize en 2002.

Le pont mesure 126 mètres de longueur sur 8 m de largeur pour une portée de 105 m. L’arc parabolique auquel la passerelle cyclo-piétonne est suspendue par des câbles monte à 50 m. L’ensemble est métallique sur fondations de béton : la structure, câbles et arcs compris, est en acier. Le pont bascule sur de gros roulements manoeuvrés par vérins hydrauliques, eux-mêmes alimentés par des moteurs électriques.

La plus grande ingéniosité a été nécessaire pour lever les contraintes d’un ouvrage aussi remarquable :

• la préfabrication : le bureau d’étude a prévu un découpage en éléments, la construction commence en atelier (Wallsend). Ils sont transportés et assemblés à Bolton. Il sera amené sur site en une seule pièce et posé sur ses fondations par la plus grande grue flottante d'Europe.
• la légèreté : les choix structurels (arcs élancés et câbles) ont pour objectif de réduire au maximum le poids du pont. Ici aussi techniques de pointe et numérique sont venus en renfort.
• la propreté : lorsque le tablier bascule, il est hors de question que tous les éventuels déchets se retrouvent dans la rivière. Tout est prévu ! Le plancher est équipé d’un bac récolteur.

Et comme les Anglais adorent donner un surnom à leurs bâtiments remarquables (Souvenez-vous du très londonien cornichon « The Gherkin »), celui-ci a été qualifié de « Blinking Eye ». Son mouvement leur rappelle le clignement d’une paupière.

 ... A suivre ...

Ne manquez pas les épisodes précédents :

• Episode 1 : Toulon-sur-Arroux - Les histoires d’un vieux pont pour la veille et la veillée
• Episode 2 : Quelques histoires de ponts … la diversité des matériaux
• Episode 3 : Quelques histoires de ponts … des fonctions multiples
• Episode 4 : Quelques histoires de ponts … des formes surprenantes

Mais aussi :

- Les robots de MX3D impriment le pont 3D !
- La passerelle de Tintagel fait encore parler d’elle !
- Des nouvelles de la passerelle de Tintagel
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- Les passerelles … un autre regard sur le paysage !

Sources :

- « POLÉMIQUE. Le nouveau pont de Pont-sur-Yonne trop bas pour laisser passer les bateaux », 26/11/2020 (mis à jour 02/12/2020), france3-regions.francetvinfo.fr
- « Architect Designs Giant Steel Rolling Bridge for the Overlooked Area of Cody Dock », Christele Harrouk, 07/08/2019, www.archdaily.com
- « The Rolling Bridge », fr.wikipedia.org
- www.heatherwick.com
- « Une pas­se­relle mo­bile pour la mo­bi­lité ré­duite », Philippe Morel, 28/06/2017, www.espazium.ch
- www.ingeni.ch
- « Dezeen's A-Zdvent calendar: Gateshead Millennium Bridge by Wilkinson Eyre Architects », Amy Frearson, 07/12/2015, www.dezeen.com
- « Gateshead Millennium Bridge », fr.wikipedia.org
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→ introduction (illustration prétexte) : pixabay.com (CC0 Public Domain - Libre pour usage commercial - Pas d'attribution requise)
→ Cody Dock : « Cody Dock E16 », sludgegulper, 23/04/2017, Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic licence, commons.wikimedia.org
→ Passerelle des Eaux-Vives :
  - « Jetée des Eaux-Vives », MHM55 (travail personnel), 29/11/2018, Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International licence, commons.wikimedia.org
  - Elévations de la passerelle de la Jetée des Eaux-Vives - © INGENI avec l’aimable autorisation du bureau d’études INGENI INGENIERIE STRUCTURALE (Genève)
→ Gateshead Millennium Bridge :
  - « Gateshead Millennium Bridge Down », Axel Steenberg, 24/10/2010, Creative Commons Attribution 2.0 Generic licence, commons.wikimedia.org
  - « Gateshead Millennium Bridge - coming down », Axel Steenberg, 24/10/2010, Creative Commons Attribution 2.0 Generic licence, commons.wikimedia.org