Si certains scientifiques cherchent leur inspiration dans la nature (biomimétisme), d’autres plongent dans l’histoire.
Depuis quelques temps, la paléo-inspiration défraie la chronique. Les matériaux anciens livrent, avec leurs secrets, des idées innovantes pour la recherche.
Les fondateurs
Ils s’appellent :
- Loïc Bertrand. Il est Directeur de la plate-forme européenne de recherche sur les matériaux anciens (Ipanema - Université Paris-Saclay - plateau de Saclay) ;
- Claire Gervais. Elle est Professeure assistante de chimie (Ecole des arts – Berne) ;
- Admir Masic. Il est Professeur de sciences des matériaux (département d’ingénierie civile du Massachusetts Institute of Technology) ;
- Luc Robbiola. Il est Ingénieur de recherche en métallurgie (CNRS – Toulouse) et restaurateur d’œuvres d’art.
Ces quatre scientifiques se sont donnés pour mission d’explorer le passé à la recherche d’antiques recettes. L’idée est née lors d’un colloque. Une rencontre de trois d’entre eux. Des discussions autour de leurs activités : restauration, archéologie. Un constat :
→ Des matériaux traversent le temps alors que la durée de vie de leur version contemporaine est proportionnellement éphémère.
→ La technologie aujourd’hui disponible permet, par des analyses très fines, de décoder d’anciennes techniques et /ou compositions, comme ce synchrotron pour des peintures.
Si un des objectifs est de réaliser des restaurations intégrées ou des reconstitutions, ces études pourraient tout aussi bien alimenter la réflexion pour le développement de matériaux innovants ou améliorer des matériaux existants. D’autant plus que ces matériaux et/ou outils sont considérés comme plus durables. Les ressources anciennes, plus réduites, sont à l’origine d’une consommation très raisonnable d’énergie et de matières premières, même si les modes opératoires peuvent se révéler complexes ou très précis.
Il n’en fallait pas plus pour leur donner l’envie de se pencher sur la question, une idée qu’ils ont partagé dans l’article « Paleo-inspired systems: Durability, Sustainability and Remarkable Properties », publié dans la revue internationalement reconnue Angewandte Chemie. Et pourquoi pas, à l’exemple du biomimétisme, poser les bases d’une nouvelle discipline, d’un concept agrégateur ?
L’exemple du béton antique
L’information a été relayée, cet été, par la presse professionnelle et grand public : le secret de la longévité du béton romain a été percé par une scientifique américaine, l’archéologue Marie Jackson (University of Utah).
Pline l’Ancien, écrivain, militaire et naturaliste du 1er siècle après JC, avait déjà mis en évidence les exceptionnelles qualités des mélanges de l’époque utilisés tant pour des œuvres monumentales (même implantées en zone sismique) tel que le Colisée que pour des infrastructures portuaires érigées en milieu particulièrement agressif. Les Romains avaient une excellente connaissance du milieu naturel et réalisaient de nombreuses expériences. Ils ont ainsi peaufiné la composition de leurs mélanges et déterminé les ingrédients les mieux adaptés.
- Pour le béton marin, ils ont recours à de la cendre volcanique mélangée à de la chaux et des granulats de roches volcaniques. L'aluminium tobermorite qu’ils fabriquaient à basse température (au contraire du ciment actuel) incorporé au mélange en améliorait encore la résistance et la cohésion et ce, sur le long terme puisque la réaction chimique perdurait en présence d’eau de mer.
- En zone sismique, ils augmentent la flexibilité du béton avec de la stratlingite, un hydroxyde cristallin qui limite l’apparition et la propagation des micro-fissures.
Ou celui du bleu maya
Le bleu indigo utilisé par les Mayas dans les peintures murales et sur des objets décoratifs a gardé toute son intensité à travers le temps. Un véritable défi alors que cette couleur d’origine organique (elle est en effet fabriquée à partir de fleurs) est de nos jours considérée comme instable. C’était sans compter sur la palygorskite, un minéral argileux local astucieusement mélangé au pigment. Il le stabilise par réaction chimique et renforce sa résistance tant sur la durée qu’aux attaques d’autres agents chimiques, comme un acide.
Le chercheur italien Roberto Giustetto (Université de Turin) a appliqué, avec succès, la recette nouvellement retrouvée sur du rouge de méthyle, pourtant instable en milieu acide (une propriété habituellement exploitée comme indicateur). D’autres expériences de transposition sont en cours, notamment avec du vert et de l’orange.
Que ce soit le béton, des teintures et pigments ou encore des alliages, les découvertes récentes montrent qu’effectivement les pratiques anciennes perdues constituent un véritable trésor à explorer.
Sources :
- « L’innovation vient aussi des matériaux anciens », 20/11/2017, www.universite-paris-saclay.fr
- « Paléo-inspiration : quand le passé invente le futur », Nathaniel Herzberg, 20/11/2017, www.lemonde.fr
- « Le secret de la résistance du béton romain est découvert : c’est l’eau de mer », Nathalie Mayer, 06/07/2017, www.futura-sciences.com
- « Le mystère de la résistance du béton de la Rome antique résolu par la science », Olivia Lepropre, 05/07/2017, www.levif.be
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Source des autres illustrations :
- « Synchrotron Soleil LINAC », Copyright © Synchrotron Soleil, used with permission, commons.wikimedia.org
- « Reproduction de fresques mayas du site archéologique de Bonampak. MNA, Mexico » by El Comandante (travail personnel), 15/08/2009, Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license, commons.wikimedia.org