Nous avons la chance de disposer d’installations sanitaires, d’ouvrir un robinet et de profiter d’eau potable. Tous ne l’ont pas.
La potabilité de l’eau est soigneusement et légalement définie. Pourtant régulièrement des articles reviennent sur la question : amiante, plomb, perturbateurs endocriniens, … Y a-t’il des risques ? Si oui, quels sont-ils ?
  • le dépassement des normes
  • de nouveaux constats scientifiques qui mènent soit à une redéfinition des seuils ou à l’introduction de nouveaux paramètres.
Et, en effet, le 23 décembre 2020, une révision de la directive européenne sur l'eau potable a été publiée au Journal officiel de l'Union européenne. Elle entre(ra) progressivement en application selon un échéancier précis et devra être transposée par les états membres au plus tard le 12 janvier 2023. Cette nouvelle version de la directive met l’accent, notamment, sur les paramètres de suivi, la surveillance ainsi que les matériaux de contact.
 
Quelques substances parmi d'autres 

PFAS

Nous sommes aux Etats-Unis et la question porte sur les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), couramment utilisées dans le monde industriel et présentes dans notre environnement de proximité (matériel de cuisine, peinture, …) mais aussi dans l’eau de distribution ou de surface. Bien qu’elles soient peu dégradables, leur détection est difficile et dépend des méthodes utilisées. Fabriquées par l’homme, elles nuisent à sa santé et les études font apparaître une suspicion de toxicité encore plus grave que prévu.

Des seuils sont donc fixés pour la potabilité de l’eau. « Pour garantir la santé humaine, quelle est la limite optimale ? », c’est là que l’information sur la variabilité des normes devient intéressante et ce, d’autant plus que le sujet est sensible, récurrent dès qu’il est question de potabilité … et de finances.

A noter que :

  • les normes fédérales américaines sont plus laxistes que les européennes (30 fois plus sévères)
  • les états peuvent individuellement y déroger pour les rendre plus contraignantes. Le Massachusetts, par exemple, a prévu une réduction drastique qui n’en reste pas moins presque 10 fois supérieure à nos valeurs limites.

Seule une partie des PFAS fait l’objet d’une surveillance. Changer la méthode de détection permet également d’identifier et quantifier un plus large panel de PFAS, notamment présents sous une autre forme dite précurseure. Les résultats laissent pantois :

  • d’autres sources de contamination sont apparues dont des mousses ignifuges ;
  • la contamination est non seulement plus étendue mais aussi plus sévère dans certaines zones où ces fameuses mousses sont très présentes telles que les bases militaires.

Une carte des contaminations a été dressée et est mise à jour. Des fonds sont débloqués pour promouvoir la recherche, améliorer la connaissance de ces substances, leur dispersion et leur impact en termes d’environnement et de santé.

En Europe, la directive prévoit l’établissement d’un schéma directeur des méthodes de surveillance au 12 janvier 2024, au plus tard (paramètres, seuils, détection, fréquence, ...). 

Arsenic

Bien qu’il soit présent naturellement dans certains sols, des concentrations anormales se retrouvent dans des sols industriels pollués ou en zone agricole à cause des pesticides. Ce poison, entre autre cancérogène, percole vers les nappes phréatiques et finit par se retrouver dans une eau de boisson potentielle (source, puits, …). Il constitue un risque pour la santé s’il se présente sous une forme assimilable, dit bioaccessible.

Cette fois, le constat a été établi en France où les surfaces polluées sont importantes : 20% des sols présentent des valeurs supérieures à la norme. Ici aussi des cartes ont été dressées et la situation est suivie de près par le Commissariat général au développement durable (CGDD). Pour l’eau de distribution, le seuil est actuellement fixé à 10 µg/L.

Plomb

La contamination de l’eau potable au plomb trouve sa source dans les canalisations soit sur le réseau de distribution, soit sur le réseau privé (au-delà du compteur). Elle se charge en métaux lourds, dont le plomb, lorsqu’elle y stagne.

Que ce soit en France ou en Belgique, la question revient régulièrement sur le tapis et ce n’est pas récent. En conséquence, les sociétés distributrices ont lancé des campagnes de remplacement des canalisations vétustes afin de respecter la norme, elle aussi, de 10 µg/L.

Quant aux installations privées, c’est une autre affaire. L’obligation normative ne s’y applique pas et seules des campagnes de sensibilisation peuvent inciter les propriétaires à entreprendre les travaux nécessaires.

Fin de l’année passée, la contamination au plomb a fait l’objet d’une question parlementaire en Wallonie (consulter la question et la réponse). La mise en conformité du réseau de distribution devrait être finalisée cette année, nonobstant d’autres interventions requises par l’évolution de la directive.

Amiante

La dangerosité des fibres d’amiante en suspension dans l’air n’est plus à démontrer. Une réglementation très stricte s’applique à tous les travaux de désamiantage pour la mise en conformité/démolition/rénovation des bâtiments. Mais qu’en est-il de l’amiante en suspension dans l’eau ? Inhalation ou ingestion, le mode de contamination a-t-il une incidence ? Si oui, la question s’applique aussi à l’eau potable parce que certaines canalisations où elle circule sont en amiante et que des fibres sont arrachées par l’érosion.

Les cancers digestifs dont on constate une faible augmentation chez les travailleurs exposés à l’amiante peuvent avoir tellement d’autres origines congruentes (alimentation, environnement, …) qu’il est aussi difficile d’émettre un avis tranché que de réaliser les études. Toutefois, le sujet gagne à être surveillé car l’extrême petitesse des fibres leur permet de franchir nos barrières de protection naturelle (intestinale, placentaire, …) pour se retrouver au plus profond de nos organes. Lire à ce sujet l’article de Sarah De Munck pour Inter-Environnement Wallonie (iew).

Perturbateurs endocriniens

Négligés jusqu’à présent dans les indicateurs de potabilité, le bêta-estradiol et le nonylphénol sont les 2 premiers perturbateurs endocriniens à intégrer la liste de surveillance des substances émergentes prévues par la nouvelle directive à côté des produits pharmaceutiques et des microplastiques.

Si leurs valeurs limites sont aujourd’hui fixées à 1 ng/L pour le bêta-oestradiol et 300 ng/L pour le nonylphenol, il est possible qu’elles soient ultérieurement revues en fonction soit du principe de précaution soit d’une dangerosité établie, de même que d’autres substances puissent être ajoutées sur la liste. Cette reconnaissance marque une belle avancée.

Microplastiques

Que les microplastiques soient partout n’était plus un secret : la nature, les eaux de surfaces, les animaux, … même le plancton et le contenu de nos estomacs sont contaminés. Il fallait s’y attendre, une étude récente de l’Université Libre d’Amsterdam (Pays-Bas) a confirmé leur présence dans notre sang. 17 des 22 personnes de l’échantillon présentaient des microplastiques de nature et de taille différentes, parfois présents simultanément. La cohorte est minuscule ? Vous avez raison. Mais peut-être n’est-elle que l'indice de l’émergence d’un gigantesque problème. Faut-il s’en inquiéter ? L’Europe n’y est certainement pas indifférente puisque les microplastiques vont intégrer la liste de vigilance. Leur suivi par le milieu scientifique sera officiellement reconnu. Soit plus précisément :

  • le 12 janvier 2024, au plus tard -> adoption d’une méthode de mesure
  • le 12 janvier 2029, au plus tard -> émission d’un rapport sur les risques et les dangers sanitaires potentiels que les microplastiques (ainsi que les produits pharmaceutiques et les perturbateurs endocriniens) feraient encourir en terme de santé humaine lorsqu’ils contaminent l’eau potable.

 

L’objectif n’est certainement pas de faire peur mais de voir comment la réflexion autour de la potabilité de l’eau s’articule : sa capacité à intégrer et gérer de nouveaux paramètres, la base légale qui l’accompagne et les difficultés rencontrées pour prendre soin de notre précieuse santé.

La problématique de l’eau qu’elle soit de consommation ou non est mondiale. L’eau est une ressource vitale malheureusement soumise à la carence, la spéculation, la privatisation, la pollution, … La première partie des « Histoires d’eaux » s’est consacrée à l’eau potable, la seconde abordera l’après-consommation. Mais avant, une mention spéciale pour les eaux de Pantone et son action de sensibilisation.

 

 

Sources :
- « L’eau est-elle encore matière à rêves ? », Etienne Klein et Olivier Rey (Invité - philosophe, auteur de « Réparer l’eau » (Stock)), 22/01/2022, www.franceculture.fr
- « Améliorer la qualité de l’eau du robinet et réduire les déchets plastiques », 15/12/2020, www.europarl.europa.eu
- eur-lex.europa.eu
- « Les PFAS, un danger sanitaire mal mesuré présent dans l’eau potable », Céline Duclos (Attachée adjointe pour la Science et la Technologie) et le Service pour la Science et la Technologie (Consulat Général de France - Boston), 31/03/2021, france-science.com
- « Un 1/5e de la France est contaminé par l’arsenic à un niveau supérieur à la normale », Céline Deluzarche, 11/12/2021, www.futura-sciences.com
- « La présence de plomb dans l'eau », 18/10/2021, www.parlement-wallonie.be
- « Plomb dans l'eau: "Il n'y a aucun problème à boire l'eau du robinet", selon un expert », RTBF, 10/04/2018, www.rtbf.be
- « Eau de distribution : pas de risque de contamination par le plomb », 08/10/2021, www.inbw.be
- « Amiante dans l'eau : impossible de conclure à un danger », Batirama, 16/11/2021, www.batirama.com
- « De l’amiante dans nos robinets ? », Sarah De Munck, 25/01/2022, www.iew.be
- « Eau potable : deux perturbateurs endocriniens devront désormais être surveillés », Laurent Radisson, 20/01/2022, www.actu-environnement.com
- « Première liste de surveillance pour les substances émergentes en application de la nouvelle directive eau potable », 28/01/22, www.phytocontrol.com
- « Microplastics found in human blood for first time », Damian Carrington, 24/03/22, www.theguardian.com
- « Microplastiques : une étude révèle leur présence jusque dans le sang humain », Florence Santrot, 28/03/2022, www.wedemain.fr
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