Il s’appelait Maillard, elle, Eunice, un couple maudit des dieux, digne d'antiques tragédies.

Une étreinte de sa tempétueuse amante lui fut fatale. Dans un embrassement fougueux, sans un mot, au sol, il est tombé.

Planté vers 1600, ce chêne, dit Maillard, avait plus de 400 ans.

 

Il aurait pu devenir charpente, prestigieuse ou familiale. Combien d’ouvrages d’art, à l’exemple de Notre-Dame de Paris, n’ont-ils pas eu recours à cette essence pour leur structure de couverture ? Une fourche un peu basse l’a aidé à traverser le temps. Il a vu la révolution française.

Il aurait pu finir en bois à brûler. Au XIXe siècle, la pugnacité d’un clerc de notaire, Monsieur Maillard, ému par sa majesté, l’a sauvé de l’abattage.

Une frappe de foudre dans les années 60 l’a méchamment fendu, ouvrant la porte aux nuisibles. Champignons et vermines ont rongé son coeur jusqu’à la poussière. Il était affaibli.

Un dernier hommage

Laissons la parole à l’écrivain et guide-nature CNB Haute Sambre, Jean-Marie Delmotte, pour un hommage émouvant.

« Ce vieux chêne, aujourd'hui brisé, je l'ai connu debout ! Il trônait comme un patriarche dans le massif boisé des Waibes, à Thuin, au sommet de la crête surplombant la vallée de la Sambre. Pour aller le voir, ce vieux chêne, il ne fallait pas craindre les dénivelés... rien ne s'acquière sans peine !

Au fil de nos rencontres, il est devenu mon ami et dès lors, je l'ai visité bien des fois du temps de sa splendeur de vieillard torturé par le temps qui passe. Que de boursouflures, que d'artères anastomosées saillantes sous l'écorce craquelée telle un vêtement usé jusqu'à la corde. Que d'histoires il m'a racontées sans élever la voix dans le grand silence de la forêt lors de nos colloques singuliers.

Ces jours-là, même les oiseaux s'arrêtaient de chanter pour écouter le vieux sage me conter le temps passé, le fracas des orages, les clairs matins de printemps, le grand soleil brûlant, la piqûre du blizzard, le poids de la neige sur sa vieille carcasse, le gazouillis des oiseaux dans son feuillage... les saisons, saison après saison.

Ce vieux chêne, gardien du Bois des Waibes semblait planté là pour l'éternité et pourtant, un lendemain de tempête, alors que je passais pour le saluer, je l'ai trouvé disloqué, agonisant dans l'humus qui l'avais nourri durant tant et tant d'années, foudroyé par un vent venu on ne sait d'où. Tempête !... Pourquoi l'avoir choisi, lui, parmi tant d'autres?

Bientôt, il reposera, vêtu d'un suaire tissé de mousse et de lichens, dans le calme retrouvé. Son corps brisé participera au grand cycle de la Nature, de la vie et de la mort. L'ancien nourrissant le nouveau pour perpétuer la vie. Petit à petit, il disparaîtra mangé, avalé, digéré par la Terre, sa Terre qui l'a vu naître, l'a nourri, petite graine de vie dans la matrice de la mère du vivant.

Jamais, je ne dirai assez combien j'aime les Arbres, mes frères. Repose en paix... l'ami. Je suis heureux de t'avoir connu ! »  

Une stratégie

Aujourd’hui, quand un géant s’effondre, une deuxième vie commence. La nature ne nous a pas attendu pour faire de l’économie circulaire ….

Par contre, de notre point de vue, c’est la preuve d’une révolution dans la gestion sylvicole. Elle a fortement évolué ces dernières années pour améliorer la qualité et la diversité des forêts, des biotopes. Fini les forêts entièrement nettoyées, où les résidus de coupe étaient brûlés, où les arbres tombés étaient débités. Les études de terrain ont démontré qu’une forêt trop propre était pauvre.

Et puis, le changement climatique a aussi son mot à dire. Stress hydrique, élévation de température, nouveaux hôtes, … Impossible de négliger ce facteur aux conséquences multiples.

Tous ces éléments influencent activement l’application de nouvelles stratégies de gestion à l’exemple de la méthode Pro Silva calquée sur la nature, du projet de Forêt résiliente lancé l’année passée, qui tablent, entre autres, sur la régénération naturelle ou encore le choix d’essences mieux adaptées afin d’assurer la pérennité des forêts.

Les projets et les appels à projet se multiplient tant à l’échelle régionale qu’européenne, publique que privée. Sauver les forêts est devenu un défi où s’affrontent, dans un infernal paradoxe, l’urgence et le temps.

 

 

Sources :
- « En hommage à Notre-Dame de Paris, trois compagnons réalisent une maquette de sa charpente », Lilas-Apollonia Fournier, 21/02/2022, www.batiactu.com
- « Cet arbre remarquable, emblème de Thuin, s'est effondré sous la force des vents: "Il était impressionnant, maintenant il n'est plus" », Aurélie Henneton et Gaetan Zanchetta, 20/02/2022, www.rtl.be
- www.prosilvawallonie.be
- foretresiliente.be
Source des photos : Veilleconstruction