Bernard_Fasol_les_toursIl y a une dizaine d’années, j’ai eu l’occasion de m’inscrire dans une étude de renouvellement urbain pour la Ville d’Auxerre, en Bourgogne, à une centaine de kilomètres de Paris. Une vaste étude avait été commandée à un urbaniste parisien pour faire revivre des richesses oubliées. Retrouver les cours d’eau anciens et les remettre en surface, créer une coulée verte sur l’ancienne ligne de chemin de fer, réhabiliter des barres vétustes et mal isolées, détruire des tours, reconstruire un logement plus respectueux de la nature et de l’échelle de la ville. Je me suis vu confier la réalisation d’une centaine de logements neufs pour remplacer trois tours qui devaient sauter. On construit d’abord, on reloge ensuite, on démolit enfin. Un raisonnement logique mais froid. Ce ne sont pas des lapins qu’on change de clapier, ce sont des familles qu’on déracine. Toutes différentes. En taille, en âge, en culture. Certains sont arrivées en 1962, jeunes couples, ils ont eu des enfants, ils ont vieilli. D’autres sont arrivés récemment, familles, isolés, familles recomposées, etc.

Mais dans les documents, on les appelle les habitants des tours (sans même les différencier entre les tours 1, 2 ou 3) pour ne pas les confondre avec les habitants des 140. Les 140, c’est une barre qui ne sera pas rasée ; 140, ce n’est pas le numéro dans la rue, les barres n’ont pas de rue, ça signifie 140 logements. Ce ne sont plus des habitations à loyer modeste mais des cages à anonymes.

Il faut les reloger donc il faut construire. La barre et les tours sont en limite de la ville donc avec vue sur la campagne, il y a de la place : on construira au pied des tours.

Construire, mais comment ? Bien sûr, les normes ont évolué. Plus question de réaliser des passoires à calories, d’ignorer l’accessibilité aux personnes plus fragiles, d’ignorer l’acoustique. Mais encore ?

Le programme parle de logement collectif ou d’individuels répartis en type de logements différenciés par leur nombre de pièces de vie. Du petit studio jusqu’au logement pour famille nombreuse. Du T2 au T6 dit-on.

L’idée est de créer un morceau de ville entre ville et campagne, de récolter les eaux de pluie en fossés à ciel ouvert et de les déverser dans un petit étang ou viendront, tout naturellement, les canards, les hérons et les pêcheurs. De donner à chacun un bout de jardin, même à ceux qui vivent à l’étage et qui bénéficieront d’un balcon avec escalier vers un bout de terrain donnant sur leur garage. L’idée, c’est de donner ce qui manquait à la tour : de la différence (par les couleurs, les formes, les tailles, les matériaux), l’idée c’est d’amener les jardins sur les toits. L’idée c’est d’être économe en énergie, par l’isolation mais aussi la production d’eau chaude solaire et d’écailler de bois certaines façades pour les rendre plus animales. L’idée c’est de créer des ruelles étroites et sinueuses pour que les voitures ne puissent dominer la circulation (quand on se gêne on se parle me disait mon ami ethnologue brésilien Arlindo Stefani). L’idée c’est de permettre aux plantes de partager l’espace avec la pierre, de grimper sur les façades et de les accepter. L’idée c’est d’offrir des orientations multiples, des vues différentes, des ensoleillements variés (dans la tour, l’appartement à l’ouest ne regardait que vers l’ouest). L’idée c’est que quand on se rend chez un voisin, à gauche, à droite, à dix mètres ou à cent mètres, on découvre une autre organisation, un autre jardin, d’autres vues, d’autres proximités. Le voisin devient un voisin de village et non plus un voisin de palier. L’idée c’est de s’excuser de l’échec des tours. Car c’est un échec. Dire à des habitants « nous vous avions promis un habitat correct » et être obligé de le faire sauter après quarante ans, c’est un échec. J’ai vu des habitants pleurer quand elles sont tombées. L’idée s’est appelée, assez naturellement, éco-quartier.

Bernard_Fasol_alternative_aux_tours_un_village

Les loyers, au mètre carré, n’ont pas changé. L’image, oui.

Le 30 juin 2007, à 11h du matin, les corneilles se sont envolées du toit des tours avec un pressentiment, la première vibrait. À 11h35, dans un énorme nuage de poussière enveloppait la population rassemblée. Le maire voulait en faire une fête. Fêtait-on un échec ou se rassurait-on comme quarante ans plus tôt en se disant, de la même manière : cette fois on a fait mieux que ce qu’il y avait avant.

Rendez-vous dans quarante ans.

A suivre ...

Source des illustrations : © Bernard Fasol

 

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