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De tous temps, les ponts fascinent. Ils optimisent les déplacements, jouent un rôle stratégique ou touristique. Ils parlent encore d’histoire, de prouesses technologiques, de créativité, d’extravagance.

Partons à la découverte quelques-uns d’entre eux.

Aussi divers soient-ils, nous avons essayé de les classer sur base d’un dénominateur commun. Après les histoires du vieux pont de Toulon-sur-Arroux, le mot-clé de cet article sera matériaux … un matériau parfois aussi insolite que des racines. 

 

Un pont de verre

Attirer les touristes en mal de sensations fortes avec des ponts de verre spectaculaires est à la mode. En Chine, ils seraient plus de 2000. Pas étonnant que vienne d’y être construit le plus long au monde : 526,14 mètres. Il a été inauguré en septembre 2020. Ces records n’en restent pas moins éphémères, 430 m en 2016, 488 m en 2018. Le suivant est probablement en train d’être conçu, financé, construit ? Qui sait ?

Celui-ci, élaboré par l’Institut Architectural Design & Research de l'Université du Zhejiang, est un pont suspendu destiné aux piétons uniquement mais il peut en accueillir simultanément jusque 500. Il franchit la vallée de la Lianjiang qui coule 201 m plus bas et offre un panorama exceptionnel sur le site dit des Trois gorges (Huangchuan). Sa largeur variable atteint les 8,80 m dans les dégagements dédiés aux points de vue et aux photos.

Le tablier est traité en totale transparence grâce à un verre feuilleté (en 3 couches) et trempé de 45 mm d’épaisseur, posé sur une structure en acier. Le cumul de la trempe et du feuilletage réunit leurs propriétés en un matériau particulièrement performant.

Pas de fissures ? Une telle situation reste exceptionnelle et, souvent, d’origine accidentelle. Ainsi le « The Brave Men’s Bridge » (Yueyang- Chine) s’est fissuré peu après la mise en service. La couche supérieure d’une dalle du Gatlinburg’s SkyBridge (Tennessee – USA) a fait de même suite à la chute d’un visiteur qui n’a pas respecté les consignes de sécurité. Ces verres sont en principe conçus pour se fissurer sans se briser …  Et n’oublions pas le pouvoir des effets spéciaux ! Humour noir ou publicité (?), plusieurs sources mentionnent l’équipement de passerelles pour simuler virtuellement la fissuration. Effets visuels et sonores ont recréé les conditions d’une expérience effrayante plus vraie que nature.

Pour conserver la transparence originelle, il est bien évident qu’un minimum de précautions et d’entretien sont à prévoir. Sus aux griffes et à la saleté !

 

Un pont de bois

Il est annoncé comme le plus long pont à structure bois du monde et il sera déjà celui de la Norvège. Alors que le recours à d’autres matériaux (béton, acier, ...) est plus courant pour ce genre d’ouvrage, le choix du bois est une preuve de plus que cette ressource a le vent en poupe parce qu’il est considéré comme éminemment durable et renouvelable. Son émission de gaz à effet de serre (GES) est faible. Il est devenu le choix qui s’impose même pour des ouvrages de grande envergure.

Ce pont-ci est toujours en projet. La fin des travaux est prévue pour 2025. La commande pour le mener à bien (conception, permis, développement) a été passée en septembre 2020 à l’association d’entreprises Besix et Rizzani de Eccher, lauréates du concours. Sont norvégiens et participent à sa conception :

et intègre le partenariat pour la construction :

Le contrat porte sur une portion d’autoroute de 11 km avec ce pont de 1350 m qui franchira le lac Mjøsa. Sur base des estimations, le supplément « bois » se monte seulement à 10 millions d’euros, soit +/- 2,5 % du montant total, par rapport à une réalisation plus traditionnelle en béton.

Le bois ne sera pas le seul défi de cette construction, la principale difficulté réside dans la profondeur du lac (jusqu ‘à 80 m) sur le site prévu pour l’implantation.

A titre indicatif, en France, le plus long pont à ossature bois est celui de Crest dans la Drôme. Il fête cette année son 20e anniversaire et sa structure en lamellé-collé franchit toujours avec la même ardeur écologique les 92 m qui séparent les deux rives.

 

Un pont en bambou

Il ne court pas après les records mais son élégance sublime la modernité du bambou. Voilà pourquoi il prend place dans cette galerie de portraits.

Construit en 2019 en surplomb d’un canal de 10 m de largeur, le « Bridge » est un projet très symbolique du bureau d’architecture Atelier Lai. Les concepteurs ont travaillé sur :

Pourquoi un porte-à-faux ? Une décision délibérée des concepteurs, non pas pour la beauté du geste architectural, mais pour épargner les deux arbres qu’une semelle de fondation auraient condamnés.

Le choix du bambou n’est pas non plus anodin. Il a été coupé sur la montagne voisine où il pousse en abondance. Difficile de faire plus local. D’origine, sa bonne résistance à la flexion le rend particulièrement adapté à ce type de structure, une résistance qui peut encore être augmentée par une technique de cuisson artificielle. Le procédé en facilite la courbure car il le rend, au départ, plus souple puis, en augmente la résistance ce qui, à terme, aboutit à une sorte de précontrainte naturelle. Les liaisons ont fait l’objet d’une attention particulière. Elles sont renforcées par une plaque métallique pendant que du béton est coulé dans le creux de la canne. Elle-même est cerclée d’acier pour éviter toute fissuration et garantir sa résistance dans le temps. Vous trouverez l’information sur l’ingénierie du pont dans l’article d’Archdaily et, dans la (superbe) galerie photos, des vues détaillées en cours de chantier.

Construit dans le petit village chinois de Taoyuan (Chine), il a également un rôle très social car il permet aux cultivateurs de rejoindre plus facilement leurs champs. Il joue au trait d’union contemporain en matériau traditionnel entre la vie et le travail, le village et les champs.

 

Pour ceux qui préfèrent les records ...

Le pont de bambou considéré comme le plus long du monde est cambodgien. Il traverse le Mékong pour relier de l'île de Koh Pen au continent à Kampong Cham. Chaque année, il doit être reconstruit à cause des crues. Alors qu’un pont de béton a été mis en service à moins d’un km de là en 2018 pour le remplacer, la force de la tradition et le tourisme l’ont sauvé d’une disparition définitive.

Cambodge-Bamboo-bridge-to-Kaoh-Pan-by-James-Antrobus

 

 

Un pont vivant

La tribu des Khasi vit en Inde, dans le Meghalaya, une région au climat tropical, aux pluies plus qu’abondantes. Les ponts réalisés avec des matériaux inertes (bois coupé, métal, …) y résistent mal. ils doivent être entretenus, réparés régulièrement, voir reconstruits. Un mode constructif en total contradiction avec la spiritualité de ce peuple.

Le clan est le lien qui unit toutes les générations, des générations dont la survie est assurée par une symbiose avec la nature et non son exploitation. La construction de passerelles appelées « jing kieng jri »  s’inscrit tout naturellement dans cette philosophie :

Outre faciliter les déplacements, ces passerelles assurent le lien social entre les clans, elles franchissent les ravins sur le chemin des villages voisins mais aussi entre les générations, celui qui le construit aujourd’hui ne sera peut-être plus celui qui l’utilisera demain.

Le figuier à caoutchouc (Ficus elastica) prête ses longues racines au clan. Des tuteurs créent une structure provisoire qui accueille les racines aériennes travaillées pour former le pont.

Les premiers ponts datent d’environ 200-250 ans. Avec le temps, les racines grossissent. Non seulement elles stabilisent la rive mais elles renforcent l’ouvrage. La résistance augmente et l’entretien diminue, une évolution totalement inverse à celle des ponts classiques. Les ponts-racines sont pérennes à condition de ne pas les détruire in.volontairement en coupant les racines pour récolter la sève ou en appauvrissant les sols.

Au-delà de la valeur utilitaire de ce patrimoine vivant, les villageois ont pris conscience du potentiel touristique.

A Nongriat, il existe même un pont à deux étages. Le premier niveau était souvent sous eau lors des inondations. Un deuxième étage a résolu le problème, ce qui fait toute son originalité et une destination privilégiée pour l’éco-tourisme insolite. Depuis les années 2000, le flot des touristes a grossi. Aujourd’hui, ils affluent par cars entiers et impactent la vie et l’environnement des habitants même si ceux-ci en tirent un profit financier. Les huttes du village se sont transformées en bâtiments de béton.

Un pont-racine tisse un lien profond avec la nature et entre les hommes. Il est à mille lieues de l’architecture de consommation que l’on rencontre dans nos sociétés et qu’une poussée d’économie circulaire tente de la réhabiliter. Espérons que ce puissant symbole ne se perde pas dans les selfies.

 

C’est déjà tout ?

Et l’acier ? Le béton ?

Pas de panique ! L’acier se fera remarquer avec le très contemporain Lucky Knot  en Chine. Le matériau a ses lettres de noblesse ... Le plus ancien pont métallique d’envergure en Europe n’est pas loin d’avoir 250 ans. L’Iron Bridge a été finalisé en 1779 en Angleterre, après 3 ans de travaux. Sa portée est de 30,60 mètres au-dessus du Severn dans la vallée d'Ironbridge et son poids de 384 tonnes. Moins de 100 plus tard, l’ingénieur Gustave Eiffel se fera le chantre international des ponts métalliques avec des ouvrages rivalisant d’audace et d’innovation dans leurs techniques constructives (à l'exemple du viaduc de Rouzat, ci-dessous). Ponts routiers et infrastructures ferroviaires, sont autant de prétextes pour déployer ses talents en France, au Portugal, en Espagne, Roumanie, Hongrie, Russie, ...

Iron-Bridge-Angleterre-et-viaduc-de-Rouzat-France-ponts-metalliques

La passerelle immergée Traverser l'Eau à vélo à Bokrijk sera l’ambassadrice du béton.

En attendant le Pont doré au Vietnam, la nouvelle passerelle cyclo-piétonne de Solre-sur-Sambre vous fait découvrir le composite en Wallonie à travers un projet du SPW Mobilité et Infrastructures auquel architectura.be a consacré un article : « Une passerelle entièrement en plastique renforcé de fibres : grande première pour le SPW ».

… A suivre …

 

Ne manquez pas les épisodes précédents :

 

Mais aussi :

 

Sources :
- « World's longest glass-bottomed bridge opens in China », Tom Ravenscrof, 04/09/2020, www.dezeen.com
- « Here's what made a glass panel crack at Gatlinburg SkyBridge », Mike Wilson, eu.knoxnews.com
- « Terrifying prank makes tourists think glass bridge is cracking », Bonnie Burton, 12/10/2017, www.cnet.com
- « Norvège : attribution du contrat pour la prochaine phase du plus long pont du monde en structure bois », 07/09/2020, press.besix.com
- « Le plus long pont en bois au monde sur le point d’être construit en Norvège », 20/09/2020, cecobois.com
- « Le pont en bois », www.mairie-crest.fr
- « Bambow Bridge / Atelier Lai », HAN Shuang, 09/012/2019, www.archdaily.com
- « Kampong Cham : Vers la fin du pont de bambou… », La rédaction, 08/05/2017, www.cambodgemag.com
- « Inde – De la coopération Homme - Nature », 24/07/2020, www.nouvellesdeshorizons.com
- « Inde : les ponts vivants du Meghalaya », ARTE Découverte, 03/08/2019, www.youtube.com (disponible jusqu'au 25/07/2022)
- « Iron Bridge », fr.wikipedia.org
- « Gustave Eiffel, constructeur de l’extrême », Sylvain Yeatman-Eiffel (Président d’honneur de l’Association des descendants de Gustave Eiffel), 04/2016, anabf.org
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→ introduction (illustration prétexte) : pixabay.com (CC0 Public Domain - Libre pour usage commercial - Pas d'attribution requise)
→ Pont en bambou du Cambodge :
- « Bamboo bridge to Kaoh Pan », 17/03/2014, James Antrobus, Creative Commons Attribution 2.0 Generic licence, commons.wikimedia.org
- « Bamboo bridge to Kaoh Pan », 18/03/2014, James Antrobus, Creative Commons Attribution 2.0 Generic licence, commons.wikimedia.org
→ Ponts métalliques :
- « The Iron Bridge », Nilfanion, 19/10/2012, Creative Commons Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International, commons.wikimedia.org
- « Viaduc de Rouzat - Appui du tablier sur une pile », MOSSOT, 20/04/2006, Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license, commons.wikimedia.org
- « Viaduc de Rouzat sur la Sioule », Patrick Boyer (travail personnel), 14/09/2012, Creative Com-mons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license, commons.wikimedia.org